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CRIC
HARMONISONS L'ORTHOGRAPHE DU CILUBA

Harmonisation de l’orthographe du ciluba: un préalable à toute politique d’aménagement linguistique de l’espace kasaïen en Rd-Congo
 
Gilbert KADIMA Batumona-Adi - Celta/Kinshasa - Cric/Finlande
 
 
Introduction 
L’observation des pratiques orthographiques et règles de transcription conduit à constater qu’il existe des divergences fréquentes de systèmes d’écriture du ciluba, une des quatre langues nationales officielles de la Répubique Démocratique du Congo. Ces divergences sont la source de nombreuses difficultés et entraînent, le plus souvent, des confusions qui appellent, sans aucun doute, à une harmonisation des règles et systèmes d’écriture qui doivent revêtir un caractère normatif pour la transcription de notre langue, le ciluba. 
 
Précisions terminologiques 
L’harmonisation de l’orthographe, thème de notre réflexion, fait partie de ce qu’on a coutume d’appeler "la planification linguistique". Le plus souvent, ce terme est utilisé comme synonyme de "politique linguistique". 
 
Dans une étude intitulée "Politique et planification linguistique", Ad. Hermans fait la distinction suivante entre les deux termes: "La politique linguistique" est la décision d’intervenir de manière délibérée sur une langue tandis que "La planification linguistique" est la mise en pratique d’une politique linguistique par la résolution de tous les problèmes concrets(1). 
 
De la même manière que nous le faisons dans cette modeste étude, les responsables de la politique linguistique au Québec utilisent le terme "Aménagement linguistique" sans lui donner un sens différent de celui de planification linguistique(2). 
 
La planification linguistique ainsi entendue comme synonyme d’aménagement linguistique poursuit deux buts différents: elle peut porter sur les langues elles-mêmes et viser à en fixer l’orthographe, le vocabulaire, la prononciation, etc. Elle peut également chercher à modifier les relations entre les langues différentes au sein d’un même territoire(3). Ces activités diverses de l’aménagement linguistique correspondent à la distinction établie par Heinz Kloss entre la planification de la codification ("language corpus planing") et la planification du statut des langues ("language status planing")(4) . 
 
Objet et intérêt de l’étude 
Dans la présente étude, nous nous limitons à parler de la planification de la codification des langues et dans ces limites, l’objet de notre étude est d’exposer et de réflechir sur les divergences d’écriture du ciluba et d’indiquer les pistes à mëme de permettre leur harmonisation. 
 
Les questions que nous abordons dans cette étude ont déjà été débattues à d’autres forums(5) . En relançant aujourd’hui ce débat, le souci qui nous tient à coeur est de montrer aux linguistes et décideurs congolais l’intérêt qu’ils ont à doter le ciluba et les trois autres langues nationales officielles (lingala, kiswahili et kikongo) d’un systéme adéquat d’écriture capable de faire de ces dernières, des instruments modernes de communication comme ont réussi à le faire d’autres peuples de nations développées. 
 
Situation géolinguistique du ciluba 
Le ciluba est une des grandes langues intranationales que l’Afrique connaît aujourd’hui. Il fait partie de quatre langues nationales officielles de la République Démocratique du Congo, les trois autres étant le lingala, le kikongo et le kiswahili. 
 
Depuis plus d’un siècle, plusieurs productions sont faites dans cette langue et dans divers domaines tels que la presse, l’histoire, la musique, la religion, l’enseignement, la littérature, la terminologie, la lexicographie, etc. 
 
En République Démocratique du Congo, le ciluba domine tant dans le Kasaayi occidental que dans le kasaayi oriental et y est enseigné dans les écoles primaires, dans les instituts supérieurs et dans les universités. Il remplit en outre d’autres fonctions sociales importantes, car il est la langue de l’administration, des cours et tribunaux, de la culture, de l’information, etc. 
 
Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette langue connaît des divergences orthographiques dans sa transcription, car beaucoup sont les luba ou les lubaphones qui ne respectent pas l’utilisation des signes orthographiques officiels recommandés par le Premier Séminaire National des linguistes du Zaïre (l’actuelle République Démocratique du Congo). 
 
Les recommandations du Premier Séminaire des Linguistes du Zaïre 
Du 22 au 26 mai 1974 s’était tenu à Lubumbashi et ce, sous les auspices du campus de Lubumbashi de l’Université nationales du Zaïre (UNAZA), le Premier National des linguistes du Zaïre. Ce forum qui demeure une référence en matière de politique et aménagement linguistiques en République Démocratique du Congo, s’était assigné comme objectif principal d’étudier les voies et moyens de promouvoir les langues nationales congolaises en vue de leur intégration aussi bien dans le système éducatif que dans le processus du développement tant socio-économique que culturel. 
 
Nous ne reprenons pas ici toutes les directives de ce séminaire quant à la transcription de nos langues nationales. Nous rappelons toutefois et ce, pour le besoin de ce que nous avons à illustrer dans cette étude, les signes orthographiques et les recommandations proposés par la Commission de l’orthographe dudit séminaire pour la transcription du ciluba. 
 
Les signes orthographiques du ciluba 
Les voyelles : a, i, e, u, o 
Exemples 
· a = kàbàbá : teigne 
· i = cííbí : porte 
· e = múkèlà : sel 
· u = búfùkù : nuit 
· o = ndòtà : rêve 
 
Le consonnes : b, p, d, t, l, v, k, l, m, n, ny, ng, c, sh, z, s, f, j 
Exemples 
· b = kábwábwá : commérage 
· p = dípwápwá : aile; dyàmpà : pain 
· d = díkàsà : pied; díkáyá : épaule 
· l = lúmwènú : miroir; kùlòmbá : demander, prier 
· j = kújááná : médire; kújádíká : témoigner 
· t = kútàtà : souffrir; kútúútá : frapper 
· v = múdyàvì : gourmand; kúvwàlá : s’habiller 
· k = kàláásà : classe; kábàdì : armoire 
· m = mádílú : deuil, múdílú : feu; májá : danse 
· n = nsápì : clé; kúnóná : aiguiser 
· s = méésá : table; kúsáámá : être malade 
· sh = nshìyà : orphelin; lùshóólà : ciseaux 
· h = hámbélu : dehors, hátòòka : au clair 
· ny = nyòká : serpent; nyángànyángà : garde-boeuf 
· ng = ngóndú : lune, mois 
· c = cínú : mortier; cyâdí : poitrine 
· z = kúzázá : avarier; kúzòlá : dessiner 
· f = kúfìlá : accompagner 
 
Les semi-voyelles : y et w 
Exemples 
· y = yàyà : grande-soeur; kuya : partir 
· w = mwakulu : grammaire, langue, parler, idiome 
 
Les tons : haut, bas, montant, descendant 
Exemples 
· ton haut = cííbí : porte (´) 
· ton bas = mukèlà : sel (`) 
· ton descendant = mwâna : enfant (^) 
 
 
Divergences orthographiques et pistes en vue de leur harmonisation 
 
L’orthographe, note Bokula Moiso, étant une convention, il est nécessaire que les linguistes fassent le point de la situation graphique de nos langues afin de mettre à la disposition de leurs utilisateurs un système de notation graphique qui doit être à la fois simple, pratique, uniforme et scientifique(6) . 
 
Pour ce qui est particulièrement du ciluba, l’on sait que l’orthographe de cette langue pose aujourd’hui pas mal des problèmes et parmi les points qui génèrent des confusions, il y a lieu de citer: la notation des tons, la notation de la nasale ny et du digraphe c par substitution de tsh, tch ou ch et la notation de la longueur vocalique. 
 
La notation des tons 
La source importante des divergences dans la transcription du ciluba est la notation des tons. En effet, le ciluba étant une langue à tons lexicaux jouant un rôle sémantique et grammatical très important, le Séminaire des linguistes du Zaïre avait recommandé pour cette langue et ce, comme nous l’avons dit plus haut la notation de trois types de tons, à savoir les tons : bas, haut et descendant comme l’illustrent ces exemples: 
 
· bùmùntù : identité 
· búmúntú : personnalité 
· mùnú : ici à l’intérieur 
· múnú : doigt 
· mwâná : enfant 
· dyàpá : aisselle 
· pínàpú : alors que 
 
La notation des tons dans la transcription du ciluba demeure, il faut l’avouer, l’apanage des linguistes africanistes et/ou bantouistes ainsi que d’une infime partie de la jeunesse montante ayant commencé la scolarisation aprés le mois de mai 1974. Aujourd’hui, beaucoup sont encore les luba ou les lubaphones qui voeint dans cette notation une pratique qui surcharge inutilement le texte. 
 
Compte tenu de cette divergence des vues, nous préconisons le systéme de notation des tons lexicaux pertinents rattachés à certains morphèmes où la tonalité est susceptible de jouer un rôle sémantique et grammatical en fonction du contexte comme l’illustre cet exemple: 
 
· kuya mu dyúlú : aller au ciel 
· kukwàta ku dyûlù : tenir le nez 
 
Il va sans dire que l’adoption de ce système exigerait un inventaire de tous les morphèmes grammaticaux dont la tonalité est pertinente tant sémantiquement que grammaticalement. 
 
La nasale palatale ny 
Il est courant de constater également dans la transcription du ciluba, une autre divergence au sujet de la notation de la consonne palatale ny qui est tout à fait distinct de [ni] qui se prononce à peu près comme le son français [gni] dans les mots dignité et magnifique. 
 
Exemples 
· nyímà : le dos 
· bàdínèngánì = bàdínèngányì = ils sont avec qui ? 
· múnìnì = múnyìnyì : la viande 
· búmánìké = búmányìké : la notoriété 
 
Face á cette divergence, nous préconisons le respect de la notation de ny qui est distinct de ni. 
 
La notation de la longueur vocalique 
Le ciluba est aussi une langue qui atteste la longueur ou la quantité vocalique, c’est-à-dire la réalisation des voyelles longues. Cette quantité ou longueur vocalique qui a dans cette langue une valeur phonémique est tantôt marquée par le redoublement ou l’allongement de la voyelle tantôt par la notation d’un point après la première voyelle comme l’illustre ces exemples: 
 
· dímíínú ou dímí.nú : sémence vs dímínú : oesophage 
· kúbáálá ou kúbá.lá : étendre vs kúbálá : lire, compter 
 
Aux fins d’éviter les confusions entre le point représentant la voyelle allongée ou redoublée et le point comme signe de ponctuation, nous proposons la pratique de l’allongment de la voyelle qui a l’avantage non seulement d’éviter la confusion, mais aussi et surtout d’éviter le surchargement du texte. 
 
La notation du digraphe c en substitution de tsh et ses autres avraiantes comme tch et ch 
 
Le Premier Séminaire des linguistes du Zaïre avait recommandé enfin pour la transcription du ciluba le remplacement du complexe consonantique affriqué tsh par le digraphe c. Dans la pratique, cette recommandation ne rencontre pas une attitude favorable chez beaucoup de lubas ou lubaphones, auteurs, lecteurs ou diffuseurs des textes en ciluba qui ont du mal à abandonner l’utilisation de tsh ou de ses variantes ch et tch auxquelles s’est ajouté depuis mai 1974 le digraphe c. 
 
Vu que les jeunes qui constituent la majeure partie des locuteurs de ciluba et qui passent par l’école adoptent sans problèmes ni contrainte le digraphe c qui, non seulement s’impose et se répand dans les manuels scolaires, mais qui répond aussi au principe scientifique de un signe pour un son, il est souhaitable que les minorités qui perpétuent ces divergences orthographiques rejoignent la majorité. Ceci permettrait de mettre fin aux confusions et pratiques anachiques. 
 
Comme on peut bien s’en rendre compte, l’orthographe du ciluba est encore fluctuante et ce, malgré les directives du Premier séminaire des linguistes du Zaîre de 1974. Cette situation est inquiétante, car elle est en cause de la prolifération des écritures que nous rencontrons tant dans la presse écrite que dans les ouvrages destinés à l’éducation des masses, l’évangélisation et à la vulgarisation. 
 
Conclusion et perspectives d’avenir 
Sous le titre de "Harmonisation de l’orthographe du ciluba: un des préalables à toute politique d’aménagement linguistique de l’espace kasaïen en Rd-Congo", nous nous étions proposé comme tâche d’exposer et de réfléchir sur les divergences d’écriture du ciluba, une des quatre langues nationales officielles de la République Déocratique du Congo et d’indiquer les pistes en vue de leur harmonisation. Nous ne prétendons pas avoir tout dit ou tout fait à perfection. 
 
Toutefois, nous espérons avoir posé les jalons des recherches ultérieures qui, si elles sont faites de manière systématique tant sur le ciluba que sur les trois autres langues nationales officielles de la République Démocratique du Congo (le lingala, le kikongo et le kiswahili) ne manqueraient certainement pas d’intérêt. 
 
Mais ce qui importe d’être souligné est que la tâche d’harmoniser les langues ou leurs divergences orthographiques n’est pas une mince affaire. Cette entreprise n’est pas également de plus aisée, car elle ne peut pas se réaliser sans susciter des rancunes chez ceux qui se verront contraints d’abandonner leurs anciennes habitudes orthographiques. En sus des rancunes qu’elle peut générer, cette entreprise ne peut être accomplie sans la participation des diffuseurs qui, au quotidien, publient divers textes dans nos langues nationales et sans touefois oublier l’implication du décideur politique qui est la seule instance capable de mettre fin aux divergences orthogrphiques qui entraînent la confusions et créent l’anarchie. 
 
Comme l’a si bien dit Charles GILMAN "La réalisation d’une uniformisation exige des recherches pour déterminer les divergences (...), des décisions sur la variante à adopter, la diffusion de la décision et l’application de l’autorité pour assurer l’uniformisation des publications dans cette langue"(7) . 
 
En ce 21è siécle où tous les discours sont polarisés autour de la mondialisation et où de nombreuses nouvelles technologies de l’information et de la communication se répandent á travers le monde et ce, à un rythme vertigineux, les linguistes et les décideurs politiques congolais doivent être conscients de la tâche qui leur incombe: celle de moderniser leurs langues nationales officielles en les dotant d’un système de transcription adéquat pour en faire des instruments efficaces de communication aux côtés des langues modernes comme l’anglais, le français, l’arabe, etc. 
 
NOTES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 
 
(1)Ad. Hermans (1989); <>, dans Le langage et l’Homme, volume 24, n°1, ILMH, pp. 16-20. 
 
(2)André martin (1996); <>, dans Terminogramme, n°79, OLF, Québec, pp. 6-9. 
 
(3)Léon Dion (1989); <>, dans l’État et la planification linguistique, Tome I, collection Langues et Sociétés, OLF, Québec, pp. 13-35. 
 
(4)Heinz Kloss (1981), Research Possibilities on Group Bilinguism, CIRB, Québec, p. 81 
 
(5)Nous pensons ici aux travaux de la Commission d’orthographe du Premier Séminaire nationale des linguistes du Zaïre tenu à Lubumbashi du 22 au 26 mai 1974; à la Réunion d’experts sur la transcription et l’harmonisation des langues africaines, tenue à Niamey en 1978; aux travaux du Comité mixte de l’Èglise catholique et des Églises protestantes, réuni à Kananga (Rd-Congo) en février 1964; aux travaux du Séminaire sur les méthodes d’harmonisation des langues transnationales, tenu à Kinshasa en 1995 avec le concours de l’ACCT, etc. 
 
(6)Bokula Moïso (1987), << Remarques sur l’orthographe du lingala standard>>, dans Linguistique et Sciences humaines, volume 27, n° spécial, Celta, Kinshasa, pp. 60-63. 
 
(7)Charles GILMANS (1976), <>, communication faite au colloque interafricainsur l’enseignement des langues et de la culture africaine, Centre International de Sémiologie, Unaza campus de Lubumbashi, Kiswishi, du 4 au 6 novembre 1976.
 
 
  
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Modifié en dernier lieu le 18.01.2005
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